Les industriels, dit la chercheuse Mélissa Mialon et auteure de Big Food & Co, nous rendent malades avec certains de leurs produits, le marketing conçu pour nous vendre toujours plus, et leurs actions de lobbying. « On appelle, dit-elle, ces formes d’influence des industriels sur notre santé, les déterminants commerciaux de la santé. » L’équation est simple : le marché alimentaire en France fournit près de 4000 calories (kcal) disponibles par personne, soit près de deux fois les besoins énergétiques moyens. « Pour augmenter les profits », dit le Dr David Ludwig, de l’Hôpital pour enfants de Boston (Massachusetts), « les sociétés de l’agro-alimentaires n’ont que deux options : convaincre les consommateurs de manger plus, ou augmenter les marges de profit en proposant de nouveaux produits, réassemblés, plus sophistiqués ou repackagés. » Deux options qu’ils mettent systématiquement en oeuvre, via plusieurs stratégies.
Stratégie numéro 1 : vendre des aliments ultra-transformés
On sait aujourd’hui que les régimes à base d’aliments peu ou pas transformés sont favorables à la santé. Mais ces aliments n’intéressent pas l’industrie agro-alimentaire parce que les marges qui les accompagnent sont limitées. L’industrie tire des profits bien plus importants des aliments qu’elle assemble ou qu’elle « ultra-transforme » : fast food, snacks, boissons, charcuteries et fromages industriels, plats préparés. Le prix de vente de ces aliments est attractif parce que les industriels les assemblent comme des « Lego » en faisant appel à des matières premières elles-mêmes peu onéreuses. Pourquoi ces matières premières ne reviennent-elles pas cher ? Parce qu’elles viennent de l’agriculture intensive ou de cracking, c’est-à-dire d’extractions poussées, comme les amidons transformés.
Or plus un aliment est transformé, moins il est rassasiant, et plus il conduit à se réalimenter. Le Dr Anthony Fardet a rapporté une étude dans son livre Pourquoi tout compliquer ? Bien manger est si simple : « Vingt volontaires ont reçu soit une repas majoritairement ultra-transformé, soit un repas majoritairement peu transformé, mais de composition identique en calories, glucides, lipides, protéines, sucre, sodium et fibres ; puis après 14 jours ils ont changé de régime. Résultats : la prise calorique a augmenté de 20% avec les repas ultra-transformés. » Bien évidemment, les volontaires ont pris 1,1 kg de plus avec le régime ultra-transformé, mais perdu 0,9 kg avec le régime peu transformé.
Stratégie numéro 2 : pousser les méga-portions
Les stratégies des industriels pour augmenter leurs revenus sont focalisées sur des campagnes de publicité qui font la promotion de portions plus grandes, de prise alimentaire répétée et la banalisation des aliments sucrés, salés, des sodas et des snacks. Par exemple McDonald’s fait la promotion de son triple cheeseburger à 608 calories (kcal) par portion. Mais Quick fait encore plus fort, avec son Mega Giant, un hamburger qui apporte à lui seul 970 kcal. Quels sont les effets de ces méga-portions ?
Une étude a testé la réaction d’adultes à des repas composés de quatre portions de macaroni au fromage de tailles différentes. Résultat : plus la portion était grande, plus les participants ont mangé. Ils ont consommé 30% d’énergie en plus (162 kcal) lorsqu’on leur proposait la plus grande portion (1000 g) par rapport à la plus petite (500 g). Et malgré s’être suralimenté, ils n’avaient pas moins faim après le repas, que ceux qui avaient consommé la portion la plus petite. Plus inquiétant : après l’étude, seuls 45% des participants ont déclaré avoir remarqué des différences dans la taille des portions servies.
Stratégie numéro 3 : favoriser le snacking
Big Food aimerait que les consommateurs « broutent » en permanence. En 2004, McDonald’s France affichait clairement ses intentions de nous faire manger du matin au soir avec une campagne de publicité intitulée « À chacun son heure chez McDonald’s ». Face à une photo de hamburger : « 11 h. Midi est encore loin. » En regard de la photo d’un Big Mac : « 15 h. Pas vu passer midi. » À côté d’une photo de crème au chocolat : « 17 h. L’heure du 4 heures. » Et devant le visuel d’une crème glacée : « 22 h. Faim de soirée. »
En 2004, les ménages français consacraient au snacking 10% de leurs dépenses alimentaires. Pour prendre l’exemple du marché du sandwich, après avoir progressé de 5 à 8 % par an en volume entre 2003 et 2007, il a fait un bond de 11% en 2008. Cette année-là, les Français ont consommé 1,8 milliards de sandwiches. Dix ans plus tard, ce sont 2,6 milliards de sandwiches qui ont été vendus en France. Comme ont pu le constater les diététiciennes-nutritionnistes en réalisant Le Bon Choix au Supermarché, 2 sandwiches sur 3 ont un profil nutritionnel médiocre ou mauvais car ultra-transformés et la majorité est à base de de pain blanc : 60 % des sandwiches industriels sont au pain de mie, 10% à base de baguette.
A côté des sandwiches traditionnels, les Français ont aussi augmenté leur consommation de hamburgers. Il s’en est consommé « seulement » 250 millions en France en 2008, mais… 1,6 milliards en 2019 ! Et quand les Français ne mangent ni sandwiches ni hamburgers, que font-ils ? Ils vont vers le kebab. Il y avait 11 000 « restaurants » kebab en France en 2014. Et quand ils ne mangent ni sandwich, ni hamburger, ni kebab, les Français commandent des pizzas : il s’en est avalé 1,1 milliard en 2018 ! Même lorsque les fast-foods proposent des menus plus sains, la majorité de leurs revenus provient des hamburgers, des frites et des sodas, ce qui explique pourquoi ils font rarement de la publicité pour la salade ou les fruits.
Stratégie numéro 4 : faire diversion
Les industriels et les filières de l’agro-alimentaire tentent de montrer leur bonne volonté dans la lutte contre le surpoids en créant des « instituts » dotés de « comités scientifiques » dans lesquels siègent des médecins. Ces instituts promettent de « faire évoluer la recherche sur l’alimentation et la santé » ou contribuer à « l’éducation du public ». Il existe des « instituts » de ce type chez Danone, Nestlé. Même la chaîne de fast-food Quick s’y était mise en octobre 2008. Quick rappelait alors à grand renfort de communiqués de presse que la société est « engagée depuis plusieurs années dans des actions dans les domaines de la nutrition, de l’environnement et de promotion des talents » et que l’Institut Quick « entend développer l’axe nutrition et santé, pour contribuer à l’équilibre alimentaire des consommateurs par le biais d’innovation et d’information. » Mais en consultant cinq mois plus tard le site de l’Institut Quick pour s’informer sur « l’engagement » historique de Quick dans la nutrition, et sur ses initiatives récentes, on pouvait lire que « Quick s’engage à proposer une carte variée (…) informer sur la qualité de ses produits, encourager la pratique d’une activité physique régulière et promouvoir auprès de tous les bienfaits d’une vie équilibrée. » Ce jour-là cependant, les seuls aliments mis en avant sur le site et dans la publicité au titre de « l’équilibre alimentaire » et de « la vie équilibrée » étaient deux « Kolossal » hamburgers à plus de 600 calories par portion. Comme d’autres acteurs de l’agro-alimentaire, Quick s’engageait à réduire le sel et les matières grasses dans ses aliments, mais le fait de saler un peu moins ou pas du tout un aliment sans intérêt nutritionnel comme les frites n’en fait pas pour autant un aliment bon pour la santé.
En 2013, le site LaNutrition révélait que le ministère français de l’Education nationale avait signé avec le CEDUS, c’est-à-dire le lobby du sucre, (aujourd’hui « Cultures Sucre ») un accord pour apprendre aux élèves français ce qu’il faut manger. Une situation loin d’être isolée. « En Afrique du Sud, dit la Dre Mélissa MIalon, Nestlé et le lobby du sucre sponsorisent la formation continue des diététiciens et nutritionnistes. »
Kinder soutient en France les colonies de vacances du Secours Populaire. « A leur arrivée, écrit la Dre Mélissa Mialon dans Big Food & Co, les enfants reçoivent plusieurs articles à l’effigie de la marque. Puis ils sont exposés à la marque tout au long du séjour : des panneaux Kinder entourent la piscine, les animateurs arborent des T-shirts Kinder… Les chocolats Kinder, produits ultra-transformés, sont même distribués à l’heure du goûter. » En Belgique, McDonald’s a lancé il y a quelques années un programme élaboré avec le ministère de la Santé et diffusé dans mille écoles du pays, avec la participation de la sprinteuse olympique Kim Gevaert. Aux Etats-Unis, Pepsi s’est engagé à donner 11,6 millions de dollars sur 5 ans aux auberges de jeunesse YMCA pour soutenir chaque année une journée dédiée à l’équilibre et l’activité physique. Cette focalisation sur l’activité physique, sans que l’accent soit mis outre mesure sur ce qu’est réellement une alimentation protectrice n’est pas innocente. Un enfant consomme plus de calories en buvant du soda ou en mangeant des hamburgers qu’il n’en dépensera dans une manifestation sponsorisée par un fabricant de boisson ou une chaîne de fast-food.
Stratégie numéro 5 : courtiser les scientifiques
Les industriels courtisent activement les scientifiques et les médecins quand ils ne siègent pas avec eux dans des organisations comme en France feu l’Institut français pour la nutrition (IFN), où l’on rencontrait Kellogg’s, Danone, le CEDUS, Nestlé, Unilever, et l’Association nationale des industries alimentaires. En France, le fondateur du très officiel Programme national nutrition santé a longtemps coopéré avec Unilever, le Centre d’information sur les charcuteries, la Collective du pain ou encore Candia. Ces interventions servent de caution aux services marketing et à la crédibilité des messages nutritionnels.
Les industriels sponsorisent aussi de multiples conférences dans des salons professionnels et grand public, auxquelles collaborent contre rémunération des professeurs de médecine en vue.
Très souvent, les mêmes médecins reçoivent des financements pour conduire des études. En 2007, une équipe américaine a analysé les conclusions de 206 articles scientifiques sur les effets santé des laitages, des jus de fruits et des sodas. Par rapport aux études qui n’avaient reçu aucun financement des industriels, celles qui avaient été financées par eux rapportaient 4 à 8 fois plus souvent un résultat favorable.
Stratégie numéro 6 : participer aux politiques nutritionnelles
L’industrie agro-alimentaire est encouragée à participer activement aux ateliers organisés par les autorités sanitaires, mais aussi à l’élaboration des politiques nutritionnelles. C’est ce qui s’est passé en France avec le Programme national nutrition santé (PNNS). De même, plusieurs industriels comme Kellogg’s ou encore le groupe Bel (Vache qui rit) ont passé des accords avec le PNNS : ils s’engageaient généralement à réduire modestement le sel, le sucre, les graisses et augmenter les fibres ou le calcium. En échange, ils ont bénéficié du label du PNNS qui équivaut à une certification « aliment sain ». Mais malgré ces aménagements de façades, on a toujours affaire à des aliments ultra-transformés, donc indésirables si on les consomme régulièrement.
L’industrie est invitée également à se doter de codes de bonne conduite pour ce qui est des pratiques marketing et publicitaires, parfois en collaboration avec les autorités sanitaires. Mais cette approche collaborative sert plutôt les intérêts des industriels que ceux du public. Ainsi, l’accent mis sur la réduction des graisses ne correspond à aucune donnée scientifique solide, mais représente une bénédiction pour les produits allégés.